Au Mali, l’électricité est le luxe du siècle

Article : Au Mali,  l’électricité est le luxe du siècle
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10 avril 2023

Au Mali, l’électricité est le luxe du siècle

La période de forte chaleur estivale sahélienne au Mali rime avec des délestages éternels. Ce qui met en colère la population et causant des dégâts matériels et économiques, alors que l’énergie du Mali se fait de plus en plus rare. Pas de courant, ni d’eau… C’est pénible de vivre en cette période de forte canicule dans ce vaste pays situé au cœur du Sahel.   

Mon téléphone n’a plus d’alimentation. Pareil pour mon vieil ordinateur portable sans batterie. Cela fait près d’une dizaine d’heures que l’énergie du mal — oups, du Mali — a privé mon quartier d’électricité. Pourtant, nous sommes à jour dans le paiement de toutes nos factures. Je sors de ma chambre, impossible pour moi de faire ma sieste de ramadan. La tête entre les mains, je regarde le congélateur de Maman qui a été affecté par ce délestage commando.

« Courant naanaa ! »

Le voisin sort monologuant, et la mine serrée. Il est trempé de sueur, vêtu d’un t-shirt portant les gros caractères d’un parti politique dont le bilan à la tête du pays demeure encore controversé. Il me trouve à la grande porte de notre cour, cherchant difficilement l’air frais sous cette chaleur de presque 40 degrés Celsius. Il me salue et me fait part du dégât arrivé à sa nouvelle télé.

« Tu sais Moh, ma télévision ne marche plus depuis le délestage de l’autre soir« , se lamente-t-il. « Je suis vraiment désolé voisin, c’est terrible tout ça », je réponds.

Brusquement, j’entends ma nièce de trois ans et demi, Aïcha, crier dans une euphorie populaire « courant naanaa… !! » (soit « l’électricité est venue »). Comme si les Aigles, l’équipe nationale de football du Mali, venaient de remporter la Coupe d’Afrique des nations (CAN). A chaque fois que je l’entends chantonner cette vieille musique, mon cœur se fend. Un mot chanté par mes oncles, tantes, grands frères… et aujourd’hui repris en chœur par ma nièce Aïcha et sa bande. Alors que le monde évolue à grande vitesse, c’est tout simplement chagrinant.  

Mon quartier dans le noir nuitamment. © Moh

Colère de la population

Personne n’est à l’abri de ces coupures incessantes au Mali. Mais ce sont les moins nantis qui en payent les frais, colossaux. Sinon les plus riches font vociférer des groupes électrogènes ultramodernes privés chez eux.

En été 2021, un Collectif des victimes du délestage avait vu le jour. Ce groupe avait animé des séries de sit-ins devant le siège de l’Énergie du Mali (EDM), dans le but de contester ces délestages qui bouleversent les activités économiques. Par ailleurs, le collectif soulignait l’importance de l’électricité dans la vie de tous les jours, surtout au 21ème siècle. 

« Depuis des décennies, rien ne change »

Sur les réseaux sociaux, chacun y va de son terrain. Les hashtags multiformes interpellent l’Énergie du Mali. Les images sur les réseaux sociaux se succèdent, montrant les quartiers de Bamako, sombrant dans le noir.

Dès que je tombe sur les incessants avis de perturbations de l’EDM sur Facebook (pour cause des travaux en cours, ou réparations), les mots de mon ami Sidi, me reviennent à l’esprit : « Ils ont toujours des excuses à nous faire dormir à chaque fois. Depuis des décennies, c’est toujours la même chose, rien ne change. Voir que notre courant ne résiste ni à la chaleur, ni à la pluie même pendant le froid, ça divague… », il sermonne ça avec sa voix rauque.

Promotion de l’énergie renouvelable

En avril 2021, l’actuel ministre de l’énergie et des mines Lamine Seydou Traoré rassurait les consommateurs d’avoir « trouvé des solutions aux délestages » qui prendront « du temps ». Il soulignait de lourds investissements dans l’énergie renouvelable, pour palier aux défis auxquels l’EDM est confrontée. En parallèle, les images des groupes électrogènes arrivés en grande pompe circulaient sur les réseaux sociaux, fin 2021. Toutes ces annonces ont été une lueur d’espoir pour les maliens, comptant sur une fin programmée de ces délestages constants. Pourtant, 2022 et 2023 ont été les années où l’épidémie a fait le plus de ravages.

L’épidémie des coupures intempestives persiste au Mali depuis des décennies. Depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, elles demeurent l’épine au pied des régimes civilo-militaires succédant à la tête du pays. Pourtant, la position géographique du pays répond mieux aux énergies renouvelables, une voie d’électrification contemporaine du continent.

Qui peut sauver l’EDM ?

Surnommée dans les rues de Bamako « Energie du Mal », l’EDM s.a croule sous une lourde dette de plus 500 millions d’euros. Le taux national d’accès en électricité s’estimait à 38% en 2016, avec plus de 40 délestages majeurs par an, comme le rapporte le journal mensuel panafricain Jeune Afrique en mars 2021. En parallèle, l’entreprise fait face à de multiples impayés : un quart de l’énergie produite par EDM (22,5 % en 2015) n’est tout simplement pas facturée.

Par ailleurs, il faut noter que la compagnie publique d’électricité malienne survit jusqu’à présent grâce aux subventions de l’Etat. Ce dernier est l’un des plus grands mauvais payeurs pour ses services, ce qui empêche l’entreprise de faire des investissements pour l’entretien de ses réseaux et d’augmenter sa capacité de production. Pourtant, les besoins en électricité sont en hausse de 12% par an depuis 7 ans.

L’EDM est sur un océan de défis, ce qui fait de l’électricité un luxe au Mali…

Quel régime parviendra à faire du rêve malien en électricité, une réalité ?    

Énergie du Mali
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